Le jeu

Au XVII° siècle, les joueurs jouent le rôle de paysan tentant de développer leur ferme. Labourer, semer, élever des animaux, rien ne vous sera épargné dans ce jeu, pas même le sanglier dans la maison. Saurez-vous agrandir votre famille et trouver l’équilibre nécessaire à la victoire ?

Comment ça marche

Au début de la partie, chaque joueur possède une ferme, composée de 2 pièces et d’un terrain de 13 cases libres. Il dispose d’un couple de paysans qui va pouvoir travailler. A chaque tour, un certains nombre d’actions est disponible : on peut principalement récupérer des ressources ou dépenser ces ressources pour construire différentes choses. A chaque tour, chacun leur tour, les joueurs utilisent l’un de leur paysan pour choisir une action. Ils réalisent donc deux actions par tour. Au cours de la partie, ils pourront agrandir leur maison pour y accueillir des enfants qui permettront de faire plus d’action à chaque tour. A chaque tour, une nouvelle action est disponible, le jeu dure 14 tours.

A la fin des tours 4, 7, 9, 11, 13 et 14, il y a une récolte. Lors de cette phase, les joueurs vont récolter les légumes et céréales qu’ils auront planté, vont devoir nourrir leur famille (avec les points de nourritures collectées, avec les céréales ou en cuisant leurs animaux et leurs légumes s’ils le peuvent). Plus la famille est grande, plus il faut de nourriture. Enfin, s’il y a des couples d’animaux dans la ferme, ils se reproduisent.

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Actions disponibles dans une partie ? 2 joueurs ? la fin de la partie

A la fin de la partie, les joueurs gagnent des points pour leurs enclos, leurs parcelles labourées, leurs céréales et légumes, leurs animaux, la taille de la famille, le confort de la maison et les cartes spéciales qu’ils ont construites. Ne pas avoir développer certains axes (animaux, plantations,...) fait perdre des points. Le joueur qui cumule le plus de points remporte la partie.

Ce qui précède concerne ce qu’on appelle le jeu familial. Le jeu évolué rajoute des cartes que les joueurs peuvent poser pour compléter et améliorer leur développement. Il existe plus de 300 cartes, ce qui donne énormément de possibilités et de combinaisons.

Critique

Sorti à Essen 2007, Agricola a rapidement fait parler de lui comme un très bon jeu mais avec énormément de textes en allemand. Heureusement pour nous, l’éditeur français Ystari a décidé de le traduire. Un travail énorme avec ces 350 cartes à traduire et une règle assez longue et pas très bien présentée en allemand. Ystari nous propose une règle retravaillée, très compréhensible et qui permet de se plonger rapidement dans le jeu.

Les deux niveaux de difficulté (familial ou non) permettent de découvrir le jeu à son rythme. Les règles de base sont relativement simples, mais surtout très logiques et très proches du thème ce qui permet à chacun de s’y retrouver assez facilement. Car "gérer" une ferme dans un jeu, ça ne consiste qu’à planter, élever des troupeaux et manger. Des actions très terre-à-terre qui permettent aux nouveaux joueurs de découvrir rapidement le jeu et ses principales facettes.

Créer sur le modèle de Caylus, Agricola propose donc le même "schéma" de base : choisir une action qu’on sera le seul à pouvoir réaliser à ce tour. Agricola est cependant plus "dirigiste" que Caylus. En effet, là où ce dernier permettait aux joueurs de choisir les actions qu’ils allaient rajouter, à Agricola, ces actions sont imposées. Le jeu est donc bien plus linéaire que Caylus. Mais alors, pourquoi jouer à Agricola puisque les parties sont presque aussi longues que celles de Caylus ? Et bien parce que ce choix énorme laissé aux joueurs à Caylus peut perdre. Même avec une grosse expérience, on est parfois dépassé par les possibilités offertes, on ne sait plus quels bâtiments construire. De plus, Caylus offre la possibilité de mettre en place des combinaisons de coups sur plusieurs tours dont la maîtrise est loin d’être simples. Agricola offre moins de choix mais ne les fait pas disparaître. On passe d’un jeu immensément riche à un jeu riche et malgré tout varié. Et surtout, les nouveaux joueurs sont moins dépassés par les options offertes.

Pour commencer, Agricola offre un défi assez simple : nourrir sa famille. Il faut en effet donner régulièrement, à un rythme qui s’accélère, à manger à sa famille. Les moyens pour cela son assez nombreux (cuire du pain, cuire des animaux, actions spécifiques)

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un enclos bien rempli gr ?ce ? son ?table

mais il est difficile de tous les suivre et il faut donc choisir une voie. Dans le jeu familial, on n’essayera de prendre une voie peu concurrentielle, dans le jeu avec les cartes, on choisira en fonction des bonus octroyés par les cartes. Cet "objectif" permet aux joueurs débutants d’avoir un but clair, facilement identifiable et qui leur permet d’avoir toujours une action intéressante à faire. Au fur et à mesure des parties et de l’apprentissage, on apprend à marquer des points, car ça reste quand même le but du jeu.

Le mécanisme de score est d’ailleurs l’une des bonnes idées du jeu. On ne gagne pas de points en cours en partie, on en gagne à la fin, en fonction de la manière dont on a développé sa ferme. Tout rapporte (parcelles labourées, enclos, céréales et légumes, animaux, taille de la famille, confort, occupation de l’espace...) et chaque domaine non développé fait perdre des points. Trouver l’équilibre est toujours difficile et la relative rapidité de la partie (14 tours), fait qu’on n’a pas le temps de tout faire. Il faut donc faire des choix entre nourrir, se développer ou bloquer les adversaires. Parce que, même si ce type de jeu ne favorise pas une forte interaction, il ne faut cependant pas perdre de vue que bloquer un adversaire en prenant une action qui l’intéresse fortement peut le ralentir énormément. Evidemment, comme dans tous les jeux de ce type, cette forme de blocage est d’autant plus efficace et facile à mettre en oeuvre et à planifier que l’on est peu nombreux autour de la table. Agricola ne fait pas exception à cette règle.

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Un plateau de joueur en fin de partie qui fait beaucoup de points

Passée la découverte du jeu en version familiale, on passera évidemment à la version avec les cartes. C’est évidemment cette version qui fait tout le sel et le charme d’Agricola. Ne nous le cachons pas, malgré un thème plutôt bien rendu, Agricola reste un "jeu de gestion à l’allemande". Ce type de jeu s’adresse à des joueurs exigeants ne recherchant pas vraiment le hasard dans les jeux. Rajouter un système de cartes variées (aucune des 300 cartes n’est identique à une autre), équilibrées (pour ne pas faire fuir le joueur amateur de jeux de gestion) où les cartes sont piochées au hasard, est une innovation plutôt risquée. Car, même si d’autres jeux l’ont fait (Tribun, L’âge de pierre, Les piliers de la Terre...), ils ont tous choisi une voie plus simple avec des jeux plus courts et moins exigeants. Et ce n’est pas le cas d’Agricola. Mais, il faut savoir oser pour découvrir de nouvelles sensations ludiques et Uwe Rosenberg l’a fait. Il a réussi, grâce à ces cartes, à offrir une durée de vie quasi illimitée à son jeu en proposant aux joueurs un renouvellement et un défi permanent, différent à chaque partie. C’est ce petit bonus, cette part de hasard, qui offre le supplément d’âme qui permet à Agricola de plaire.

Le hasard des cartes est tempéré par 2 choses. La première, c’est qu’on pioche la plupart du temps un peu plus de cartes que celles avec lesquelles on va jouer. Bien sûr, pour diminuer au maximum la part de hasard, nous vous conseillons de jouer en "draft" comme s’est proposé dans les règles. Cette méthode vous permet d’être sûr d’avoir des bonnes cartes et évitent qu’un même joueur ait un tirage trop avantageux. La 2° chose, c’est que ces cartes sont posées au cour du jeu, à l’aide d’actions. Poser une carte se fait donc aux détriments d’autre chose. On peut donc gagner en posant beaucoup de cartes utiles, ou, au contraire, en posant peu de cartes et en se concentrant sur les actions de base du jeu. Un tirage moyen va donc vous permettre de poser rapidement les cartes utiles à votre jeu pour vous concentrer sur votre développement alors qu’un tirage plus "fort" nécessitera plus de temps pour être mis en place. Evidemment, il n’existe pas de cartes monstrueusement fortes ou totalement inutiles, ce qui évite les déséquilibres trop marqués. Et donc, ce qu’Agricola "perd" sur Caylus à cause de sa "linéarité", il le récupère grâce à ses cartes. Alors, évidemment, Agricola est un jeu moins équilibré, moins fin que Caylus, mais c’est aussi un jeu qui offre des possibilités très variées et du renouvellement grâce à ses cartes. Il est un peu plus "fun", un peu moins calculatoire tout en restant exigeant. Les deux jeux ne font donc pas du tout doublon et offrent des sensations ludiques très différentes.

Agricola permet aussi de jouer de 1 à 5 joueurs. La version solo est plutôt bien réussie, offrant pas mal de possibilités et plusieurs formes de défi aux joueurs. A mon avis, le jeu trouve son équilibre à 3 joueurs : les parties sont rapides, l’interaction bonne, la position par rapport au premier joueur pas trop déterminante. A 2, la moindre erreur peut être fatale. Le jeu est assez violent car on peut vraiment sacrifier une action pour ralentir son adversaire, les parties sont très intéressantes. A 4, la position par rapport au premier joueur peut devenir plus gênante, mais il reste beaucoup de matériaux disponibles. A 5, le jeu est plus déséquilibré, la position par rapport au premier joueur peut devenir déterminante ce qui rend le jeu moins facile. Cependant, sa variété et les nombreuses possibilités offertes font que le jeu reste agréable à jouer.

Conseils tactiques et stratégiques

- Les victoires se jouent souvent aux alentours de 35 points en familial (beaucoup moins lors des premières parties) et 45 points avec les cartes.
- Le jeu familial est riche et offre de nombreuses possibilités. N’hésitez pas à faire quelques parties dans ce mode avant de passer aux cartes pour maitriser certains tenants et aboutissants. Lorsque vous aurez goûter aux cartes, il sera difficile de vous en passer ensuite.
- Les paquets pré-triés (E, I et K) sont plutôt bien faits. Le E est très bien pou découvrir l’univers des cartes, le I renforce les interactions directes entre joueurs sans aller trop loin, et le K offre des combinaisons qui peuvent être fortes mais qui sont souvent difficiles à mettre en oeuvre. Il est préférable de le jouer quand on commence à bien maîtriser le jeu avec les cartes.
- Essayer de mettre en place un moteur de nourriture assez rapidement pour être le moins ralenti possible par cette action obligatoire dans le reste de la partie.
- L’un des premiers objectifs du jeu est souvent d’agrandir sa famille, ce qui passe par l’agrandissement de la maison le plus rapidement possible pour profiter de la "Naissance" dès qu’elle se présentera.
- N’oubliez de profiter de l’action "Premier joueur", qui vous permettra de récupérer de la nourriture en familial ou de faire un aménagement mineur. Il faut éviter de rester trop longtemps en dernière position. Cependant, éviter de trop vous "battre" pour cette action, le joueur qui vous suit (dans les parties à 4 et 5 joueurs surtout) en profiterait énormément.
- N’oubliez que les aménagements majeurs sont des sources de points de victoire très importantes. Ils sont souvent délaissés alors qu’ils peuvent faire la différence.
- En début de partie, les actions les plus convoitées sont "3 bois" et "Savoir faire". Il vous faudra souvent passer "Premier joueur" pour en profiter pleinement.
- Si vous "draftez" vos cartes en début de partie, pensez à conserver les cartes qui rapportent des points de victoire. En effet, si vous les laissez passer, elles pourraient se révéler très fortes pour vos adversaires. Laisser passer de telles cartes doit être mûrement réfléchi.
- La deuxième chose à laquelle il faut faire attention, ce sont les cartes qui permettent de mettre en place en moteur de nourriture.
- Ne négligez pas les charrues, qui sont très fortes car elles permettent d’économiser des actions sur un secteur qui rapportent des points.
- N’hésitez pas à prendre des actions qui pourront gêner considérablement le développement de vos adversaires (principalement au niveau nourriture, prendre beaucoup de nourritures à un moment pour gêner un adversaire ne vous ralentira pas trop).
- Développer sa ferme, élever des animaux, labourer, tout cela est bien joli, mais ne perdez pas de vue l’objectif si vous voulez faire un score correct.

Public

Règle assez longue à lire, matériel en quantité, options stratégiques variées : Agricola s’adresse a priori à un public un peu exigeant. Mais voilà, comme ça arrive une fois de temps en temps (la dernière fois, ça devait être Puerto Rico), un jeu arrive à trouver une alchimie qui permet de le jouer avec des joueurs moins expérimentés. C’est le cas d’Agricola qui propose des règles pas trop compliquées lorsqu’elles sont expliquées, un thème, certes pas forcément dépaysant, mais qui parle à tout le monde, des actions logiques qui le rendent en réalité assez accessible. Agricola arrive à plaire à un public large, j’ai vu des enfants de 8 ans y jouer.

Conclusion

Alliant des ingrédients traditionnels (réservation d’actions, récupération de ressources pour construire quelque chose, cartes "Action), Agricola fait partie de ces jeux qui arrivent à un résultat supérieur à la somme de ce qui le compose. Proposant une alchimie parfaite entre le thème, la complexité, la richesse des actions proposées, il propose un challenge intéressant et tout le temps renouvelé grâce aux cartes. Apportant une petite touche d’imprévus dans ce type de jeu, il a su trouver une place laisser vacante : le plaisir est là à chaque partie, avec des défis différents à chaque fois. Une belle réussite.